Entraînement d'Akiyo n°6 : Le Chant des Sources

où je m'appropprie le plus noir des pouvoirs...


Trouble. C'était ce qui lui venait à l'esprit lorsqu'elle tentait de regarder autour d'elle. Akiyo ne voyait plus. Les choses lui apparaissaient déformées, comme perçues à travers un tissu léger. Sa pointrine se gonfla, en un ultime réflexe salvateur, mais il était déjà trop tard. La jeune fille n'avala que de l'eau. Le liquide pénétra dans ses voies respiratoires, en même temps que la souffrance lui embrasait la gorge.

Akiyo eut un sursaut de volonté. Cela ne pouvait pas finir comme cela ! Non. Elle devait remonter. Elle se mit à nager, avec l'énergie du désespoir. Son crawl gracieux et vigoureux la portait toujours plus haut, vers la lumière qui luisait à la surface.

Mais c'était... trop loin. La kunoichi s'était déjà enfoncée trop profondément sous les flots. Ses forces l'abandonnèrent après de nombreux efforts, et elle sombra, avec une dernière pensée consciente :

« Je ne savais pas que les sources étaient aussi profondes... »

Mais, lorsque l'on est au plus bas, on ne peut que monter... Akiyo déplia brusquement son corps, et son talon vint frapper le fond. Cette poussée la projeta en avant, et elle traversa les eaux avec une rapidité effarante. La surface se rapprochait peu à peu. Elle allait réussir. Elle réussissait...

C'est alors que son visage tendu vers la lumière heurta une surface d'une dureté extrême. La jeune shinobi fut rejetée en arrière. Elle retomba, dans un mouvement qui semblait figé tant il était lent. Les voiles blancs de sa tenue se déployaient dans les eaux, et elle paraissait une étrange fleur dans cette obscurité abyssale... Elle tombait, entraînant dans sa chute une myriade de bulles argentines. Ses lèvres s'entrouvrirent, esquissant une muette supplique... Elle prononçait... un...nom... Mais c'était fini. Personne ne pourrait la secourir.

« Ainsi c'est comme ça que je meurs... noyée... »

C'était logique, vu que sa peau était trop solide pour qu'elle périsse par le fer. Son existence avait été bien remplie. Elle ne regrettait rien. Sauf peut-être...

A mesure que l'eau envahissait ses poumons, ses pensées se muaient en une brume confuse. Pourquoi lutter? La source ne la blessait pas, elle ne faisait pas jaillir son sang. Avec la douceur d'une mère berçant son enfant, elle prenait Akiyo dans ses bras pour la mener à son dernier sommeil...

Vaincue, Akiyo s'évanouit sur le sol. Son regard violacé, meurtri par les eaux, disparut enfin sous l'ombre des paupières.

**********

Une sensation horrible. Comme de petites aiguilles chauffées à blanc, qui transperçaient chaque centimètre carré de sa peau. Quelque chose n'allait pas. Akiyo était bien obligée d'ouvrir les yeux.

Elle ne vit tout d'abord qu'une immensité jaune. De tous côtés elle était éblouie, et dut attendre un long moment pour préciser sa vision. Rêvait-elle? Avait-elle franchi l'infime frontière qui sépare notre monde de celui des morts? Une bourrasque se leva. La jeune shinobi fut plaquée au sol, lacérée par des grains de sable coupants comme une lame de rasoir. Le sable lui giflait le visage, lui fouissait la chair, pénétrant par le moindre interstice. C'était insupportable.

Enfin, le vent tomba. Akiyo, revenue au calme, put examiner sa peau. Intacte.

Elle se releva, fit quelques pas. Elle ne comprenait pas. Elle se rappelait, de façon très lointaine, comme si tout cela appartenait à une autre existence, être venue au lac, et s'être plongée dans les sources afin de s'entraîner aux techniques Suiton. Elle malaxait son Chakra, de l'eau jusqu'à la taille, lorsqu'une ombre avait obscurci le ciel. Akiyo, médusée, avait vu soudain une énorme cataracte s'abattre sur elle. L'eau bouillonnante et furieuse avait emporté la jeune ninja comme un fétu de paille, l'entraînant irrémédiablement vers le fond du lac. Elle avait fait ce qu'elle pouvait pour revenir à l'air libre, mais ses efforts avaient été vains. Il lui avait semblé qu'une force inconnue se dressait comme une barrière entre elle et la surface de l'eau. Suffoquée, épuisée, Akiyo s'était finalement abandonnée à la mort.

Et maintenant?

Et maintenant... plus la jeune fille découvrait ce qui l'entourait, moins sa situation lui apparaissait clairement.

Une nouvelle rafale de sable cingla Akiyo. Elle se demanda, dans un éclair de lucidité, si elle avait réellement survécu, ou si elle gardait simplement l'impression d'être en vie afin de pouvoir souffrir davantage. Il semblait qu'elle fût encore vivante, mais le paysage qui l'entourait était tellement étrange!... Pourquoi alors lui paraissait-il si familier?

La jeune shinobi scruta le désert qui s'étendait, désespérement vide, à perte de vue. Où que son regard se portât, elle ne distinguait que du sable brûlant et des rocs désolés. Le ciel lui-même avait pris une couleur jaunâtre, et cette teinte lui semblait menaçante. Un large soleil sanglant dominait ce ciel de cauchemar, sans aucun nuage.

-Bienvenue, Akiyo.

Vivement, la jeune kunoichi se retourna. Il n'y avait personne. Elle ne voyait rien, pas même la trace d'une quelconque présence humaine. Mais pourtant... cette voix, ce ton de froid cynisme, de moquerie cruelle, éveillait des échos dans sa mémoire.

Akiyo attendit que son interlocuteur se manifeste à nouveau, mais il ne semblait pas avoir l'intention de reprendre la parole. Le soleil était implacable, et la jeune kunoichi ne pouvait rester longtemps immobile sous sa morsure, il n'en était pas question si elle ne voulait pas mourir... une seconde fois. Il lui fallait se déplacer. C'est alors qu'elle aperçut, à la limite de son champ de vision, une forme floue et tremblante. Peut-être était-ce un abri... Akiyo, animée d'un nouvel espoir, se dirigea lentement vers cette promesse. Elle ménageait ses forces.

Sa marche fut longue et harassante. La forme était si loin qu'elle semblait à Akiyo complètement hors d'atteinte. Elle avait l'impression que, quel que soit le nombre de pas qu'elle ferait, elle n'arriverait jamais à la rattraper, que plus elle se rapprochait de son but, plus le but lui-même s'éloignait, comme si elle était la victime d'un mauvais sort.

Le feu du ciel avait redoublé d'intensité, et Akiyo souffrait horriblement. La soif la terrassait, la lumière l'éblouissait, la chaleur atteignait férocement sa chair, et faisait naître des images illusoires dans son esprit. Elle délirait, en proie à d'effrayantes hallucinations. Sa bouche s'était desséchée et ses jambes ne la portaient plus. Elle n'en pouvait plus. Elle s'effondra sur le sable, et continua son chemin en rampant, se soulevant péniblement sur les coudes, poussant des halètements. Sa peau si pâle et si fragile était rougie par le contact du sable, ses grands yeux violets, sous l'effet de la lumière, s'étaient embués de larmes.

Enfin, lorsqu'elle fut si proche de ce qu'elle avait cherché qu'elle put le toucher du doigt, son attente fut déçue. Les objets lointains que sa détresse lui avait faits miroiter comme un abri n'était rien d'autre que des arbres. Des arbres que leur maigreur, leur sécheresse, rendaient effrayants. Leurs branches noirâtres se dressaient vers le ciel de braise, semblables à des membres suppliciés. Ils étaient dressés, sentinelles immobiles de ce lieu de désolation, gardiens centenaires que le soleil avait peu à peu fossilisés. Akiyo n'avait même pas assez de salive pour gémir. Bientôt, elle connaîtrait le même sort... Après avoir péri par l'eau, elle périrait par le feu.

Mais il y avait pire encore. Akiyo s'en rendit compte lorsqu'elle découvrit qu'une hauteur de terre la séparait des arbres. En fait, c'était bien plus que cela. Les arbres se trouvaient surélevés par rapport à la jeume fille, un peu comme si celle-ci était dans un fossé. Le fait lui parut étrange... C'est alors qu'elle eut un choc.

La situation n'était vraiment pas naturelle. D'abord, il y avait eu cet anormal déferlement d'eau, puisune sorte de champ avait empêché la jeune ninja d'atteindre la surface de la rivière, ensuite elle avait entendu cette voix désincarnée, qui ne s'était plus manifestée depuis, et qu'elle avait cru reconnaître, et maintenant ça...

Elle comprenait à présent pourquoi le paysage lui était si familier... La raison en était affreusement simple... Depuis le début, Akiyo n'avait pas quitté les sources. C'étaient les sources qui s'étendaient autour d'elle... Seulement, les sources que la jeune kunoichi avait connues n'étaient plus. Le cadre autrefois enchanteur semblait rescapé d'un cataclysme, et des arbres qu'elle touchait du doigt, et qui avaient été un magnifique bosquet, il ne restait que de pâles squelettes. Pas une seule goutte d'eau ne subsistait dans cet endroit dévasté, et le fossé dans lequel la jeune fille reposait n'était rien de plus que le lit de la rivière - totalement asséché.

Alors Akiyo crut devenir folle. Cela ne pouvait pas être... C'était impossible... Rien de plus qu'un horrible cauchemar. Elle allait se réveiller, à l'aube, et rirait de ses frayeurs et de sa faiblesse. Et puis elle enfilerait une tenue de combat et sortirait de chez elle. Elle goûterait un moment au plaisir chaque fois renouvelé de découvrir Ea lorsque le soleil se levait, et, après avoir flâné un moment dans les rues, elle filerait au bureau de sa Kage pour lui demander une mission. Ou elle s'élancerait sur les routes, voir du pays. Ou encore elle partirait s'entraîner, au Suiton par exemple... C'est ça. Elle se rendrait aux sources, se metterait à malaxer son Chakra, et il n'y aurait pas de cataracte géante, ni aucune autre fantaisie de son imagination, pour l'interrompre.

Mais non. Elle ne s'éveillait pas. Elle restait là, anéantie, tache claire sur le sable jaune, avec ce silence terrible qui lui vrillait les tempes.

Silence qui se rompit.

-Tu as enfin compris...

Encore cette voix...Avec un immense effort de volonté, la jeune shinobi se releva lentement. Il n'y avait toujours personne, mais Akiyo crut remarquer une brume translucide, un frémissement léger, quelque part au ras du sol. Ou peut-être n'était-ce qu'un mirage provoqué par son esprit en délire...

-Je n'ai pas besoin de t'expliquer où nous sommes, puisque tu l'as déjà deviné par toi-même.

-Mais comment...

La voix poursuivit, comme si elle n'avait pas été interrompue :
-Je suis venu te faire un cadeau. Comme tu as pu t'en rendre compte, l'eau est un élément primordial, à la base de toute existence. La majorité de notre corps en est composée, à un tel point que, sans eau... la vie n'est plus.

La voix marqua une pause. Il suffisait, pour observer les effets du manque d'eau, de jeter un bref coup d'oeil sur cette terre désolée, d'observer un instant le visage have d'Akiyo.

-Tu t'entraînais au Suiton, n'est-ce pas? Les techniques Suiton permettent de créer de l'eau là où il n'y en a pas. Voilà ce que je te propose. Je veux t'offrir l'effet inverse... Comme tu as pu l'expérimenter, il est fort désagréable de sentir toute l'eau contenue dens son corps s'évaporer peu à peu... Tu auras ce pouvoir, celui de déssécher tes ennemis, de manière fulgurante, en leur apportant la mort... Viens à moi, Akiyo, viens tester le pouvoir du Suiton de l'Ombre!!!

-Non...
Elle ne voulait pas d'une technique aussi meurtrière... Elle ne voulait pas faire souffrir qui que ce soit d'une manière aussi horrible...

-J'apprécie moyennement que l'on refuse mes présents. Accepte ctte technique, et je te renverrai d'où tu viens. Autrement tu mourras, dévorée par le don même que tu as négligé!

Par la suite, Akiyo se demanderait souvent si elle avait fait le bon choix, et cette pensée s'ajouterait à l'amas de celles qui la hantait déjà. Après une seconde qui sembla durer un siècle, elle acquiesca.

-Je préfère ça. Approche-toi, je vais t'enseigner les signes.

Aussitôt, le frémissement qu'elle avait aperçu se changea en une ombre aux contours si flous qu'il fut impossible à la jeune shinobi de l'identifier. Mais Akiyo distinguait avec netteté ses mains, et elle eut bientôt appris la technique maudite.

-Très bien, Akiyo... Amuse-toi bien!

Et le rire sinistre de l'ombre résonna encore longtemps autour d'elle tandis que le paysage se dissolvait sous ses yeux...

**********

Une fraîcheur inattendue fit frissonner Akiyo. Elle ouvrit les yeux, pour se retouver face à un ciel clair d'hiver, orné de nuages roses. Le soir tombait. Akiyo reposait sur l'eau vive du lac, le visage affleurant à la surface. Elle sortit de l'eau, trempée, et regarda autour d'elle avec un ravissement non dissimulé. Tout était si vert, si vivant.

Ainsi elle était de retour aux sources... Elle n'arrivait pas à croire tout ce qu'elle avait vécu. Elle ne pouvait pas se dire que ce pouvoir mortel domait aux creux de ses paumes. Un cadeau empoisonné... Mais pourtant c'était vrai...

Akiyo tomba à genoux, les poings crispés sur les tempes. L'espace d'un instant, il lui avait semblé entendre un cri. Le cri déchirant d'un homme victime du Kuroi Suiton. Son visage se crispait alors que, sous l'emprise de la technique fatale, l'eau contenue dans son corps lui échappait... Un instant après, il serait mort, réduit à l'état de fossile, son visage sec comme de la pierre figé dans une expression de terreur incrédule, l'eau si importante retomberait en pluie sur le sol.... Et le cri résonnait aux oreilles d'Akiyo, se mêlant, dans une mélopée lancinante, au chant des Sources...