Mission d'Akiyo (début)

Akiyo avait pris la route après avoir quitté le bureau d'Akura. Elle avait à peine eu le temps de se préparer, tant son impatience était grande. Elle s'était contentée de se munir d'un sac dans lequel elle avait jeté quelques vêtements, quelques armes. Et elle avait quitté Ea.

Elle s'était hâtée le long des routes, car il ne fallait pas que l'on découvre par où elle était passée. Akura avait été formelle sur ce point : l'emplacement de son village était secret, et devait le rester. Elle avait fait son possible pour satisfaire cette exigence. Elle avait coupé par la forêt, pris des chemins détournés dans la boue et la rocaille, et ne s'était rapprochée de la route principale que lorsqu'elle avait été sûre de s'être assez éloignée du village.

A présent, elle marchait paisiblement, sans crainte d'être attaquée. Une chanson sans paroles ni suite venait naître au coin de ses lèvres, et elle, d'habitude si paranoïaque, ne prenait même plus la peine de se retourner.

C'est ce qui faillit la perdre.

Faillit. Car au moment précis ou la lame s'abattait sur elle, elle se baissa, saisit la cheville de l'asaillant. De sa manche ample, elle fit tomber un shuriken qu'elle enfonça dans la chair blanche. Le sang commençait à sourdre de la plaie. Elle se redressa, triomphante, tandis que son agresseur agrippait sa cheville en gémissant. Le poison dont elle avait enduit les lames en étoile allait bientôt faire effet.

-Alors, tonna-t-elle. (elle en profita pour dénombrer, outre celui qui se tordait de douleur à ses pieds, une bonne douzaine de samouraïs, fortement armés, qui la regardaient avec des yeux horrifiés. Le ton de sa voix les avait cloués sur place. Ils ne pensaient plus à esquisser un seul mouvement.) Alors, qu'est-ce qui vous amène?

Après cette question, posée d'une voix étonnament joviale, un silence de mort plana sur la scène.

Elle reprit d'une voix très calme, mais où la menace couvait comme le feu sous la cendre.

-Ah, je sais. Je connais les individus de ce genre. Vous étiez à la recherche d'une faible victime à dépouiller, pour pouvoir ensuite abandonner son corps sur le bord de la route.... Maintenant, dites-moi... Est-ce que j'ai l'air faible?

Les bandits la dévisageaient, une expression de terreur panique peinte sur leurs visages à présent pâles. Ils contemplaient sans y croire l'intense énergie noire que semblait émaner de tous les pores de sa peau. Le regard qu'elle posa sur eux à cet instant -un regard dont la froideur avait quelque chose de reptilien- leur glaça le sang dans les veines.

Décrire le carnage qui se déroula ensuite serait inutile. Un observateur extérieur aurait sans doute été surpris par la violence de la lumière qui éclaira soudain les alentours. Du chaos du combat, il n'aurait rien pu suivre, car ceci fut rapide et brutal. Médusé, la seule chose qu'il aurait pu percevoir aurait été, lorsque la fureur de la bataille se serait apaisée, la silhouette fine d'une jeune fille poursuivant tranquillement son chemin. Et derrière elle, il aurait pu discerner une douzaine de corps allongés. S'approchant, il se serait alors rendu compte que pas un seul d'entre eux ne respirait. Il aurait vu les lames, tombées à terre. Il aurait reconnu, dans la blancheur cadavérique d'un visage, l'action d'un poison foudroyant. Et il se serait interrogé sur ce qui avait pu avoir un effet aussi dévastateur sur les autres -qui portaient les marques de graves brûlures. Celui qui aurait assisté à un tel spectacle n'aurait eu qu'une envie... Fuir au plus vite.

Akiyo essuya son visage maculé de rouge.
«Bon sang », fulmina-t-elle, « Je déteste ceux qui s'en prennent aux femmes... »

Elle n'avait reçu aucune blessure, mais, lorsqu'elle fut revenue de sa colère, la conscience de ce qu'elle avait fait l'assaillit soudain, la faisant souffrir davantage que la lame la plus aiguisée.

« Encore une fois, j'ai mis fin à des vies... »

Sortirait-elle jamais de ce cycle infernal? Arriverait-elle jamais à refouler l'horreur tapie en elle?

Les traits tirés et le visage défait, elle arriva aux portes de Kumo, où les shinobis de garde la laissèrent passer sans résistance. Ils firent bien. Hachibi ne s'était pas encore vraiment rendormi. De sa voix glaciale, il chuchotait à la jeune fille des mots contre lesquels elle résista de toute sa volonté. Akiyo se sentait très mal. Elle ne désirait qu'une chose : oublier. Et se faire oublier. Mais il fallait avant tout qu'elle remplisse sa mission.

« Voyons »,pensa-t-elle, « Akura m'a demandé de me renseigner auprès des habitants... »

Elle s'appuya contre le montant des portes, et attendit la première personne qu'elle rencontrerait. Dans son esprit se bousculaient des pensées contraires.

Akiyo tourna vers sa Kage un visage marqué de cernes mauves. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle était coincée à Kumo, la notion de « temps » ayant pardu pour elle toute réalité. Elle avais attendu aux portes de longs instants, qui lui avaient paru des siècles, mais elle ne voyait venir personne... S'étant finalement décidée à entrer dans le village, elle avait tenté de mener son enquête, interrogeant chacun des habitants, sans relâche.

Peine perdue... Dans un Kumo amputé de son chef, et où le chef adjoint manquait, les citoyens ne semblaient pas du tout au fait de l'orientation politique de leur village. C'était l'énième « Je ne sais pas... Voyez avec le Raikage, quand il sera revenu... » qu'Akiyo entendait, et elle sentait qu'elle n'allait pas tarder à perdre le contrôle de ses nerfs... Minute après minute, l'irritation de la jeune shinobi devenait plus grande. Minute après minute, Kumo s'acheminait vers sa fin inexorable. Hachibi s'agitait en elle, et Akiyo le sentait. Bientôt, Kumo allait être réduit en cendres. Ce qui était bien dommage pour un village dont elle ne savait même pas s'il était hostile ou non.

Bien sûr, détruire un village caché était la dernière chose qu'Akiyo eût souhaitée faire en arrivant ici. Bien sûr, si elle le faisait, elle serait de nouveau rongée par les remords, et ce pour longtemps. Mais elle n'était pas certaine de pouvoir résister aux pulsions qui l'envahissaient de plus en plus.

Elle se trouvait dans ce déplorable état quand Akura arriva. A sa question :

-Alors, Akiyo, contente de me revoir?

Elle s'exclama :

-Très !!!

Elle parlait d'une voix lasse, mais avec sincérité, même si son premier mouvement avait été de penser avec agacement :

« C'est ma mission, quand même !!! Laisse-moi opérer, Akura. »

A la réflexion, un peu de compagnie était la meilleure chose qui puisse lui arriver. L'arrivée de sa chef l'avait distraite de ses instincts destructeurs. Akura ne saurait jamais à quel point elle avait sauvé Kumo -et Akiyo elle-même-. Son visage s'éclaira... Puis se rembrunit aussitôt. A en juger par la façon dont Akura l'avait rembarrée quand elle avait demandé cette misson, elle n'était pas de très bonne humeur, et cela ne risquait que d'empirer quand elle s'apercevrait que son bras droit n'avait pas vraiment avancé...

« Et puis zut!!! Tant mieux, si Akura est là, elle se rendra compte par elle-même de pourquoi cette mission est impossible... »

Puis elle remarqua ses yeux rougis...

Akiyo renonça à comprendre, et emboîta le pas à Akura. Elle avait tout à fait compris son petit manège, mais des motifs mystérieux semblaient avoir empêché Akura de s'en prendre à Kumo... Elle réfléchirait à tout cela plus tard. Peut-être Akura était-elle simplement crevée? Comme elle-même en cet instant. Sur le chemin du retour, elle garda un regard vide et las, et le seul fait de soulever un pied de terre et de le reposer un peu plus loin paraissait lui demander un effort insurmontable.

"Les missions les plus fatiguantes sont celles où il ne se passe rien ", pensa Akiyo, avant que son esprit embrumé par l'épuisement ne lui permette plus de formuler une seule pensée cohérente.

Hachibi, dont les noirs desseins avaient été contrariés, était bien de cet avis.